L'évolution des styles

Les monuments du style gothique, tant ancien que moderne, ont été quelquefois aussi classés par rapport aux pays qui les élevèrent. A ce point de vue, on a distingué le gothique du Nord, comprenant le breton ou anglais, le flamand et le normand, le gothique germain, subdivisé en saxon, tudesque et lombard; le gothique du midi, avec des espèces fort variées; le gothique asiatique, où l'on distingue le syrien, l'arabe, le sarrasin et le moresque. Outre qu'elle n'a rien de scientifique, outre qu'elle ne repose pas sur les caractères intrinsèques des monuments, cette classification confond des styles très divers. 

Par rapport à l'exécution artistique, on a imaginé encore les divisions suivantes : le gothique à trèfle, qui aurait fleuri du IXe au XIe siècle; le gothique rosé et fuselé, dans lequel les vitraux sont disposés en roses ou corolles aplaties, et les piliers composés d'un gros fût principal et de nombreuses colonnettes en fuseaux; le gothique ondulé et panaché, chargé de galbes, d'ondulations, de clefs pendantes; le gothique flamboyant et le gothique fleuri, développement ou exagération du précédent. C'est là encore une classification peu précise, et qui s'appuie trop souvent sur des détails accessoires.
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Portion de la façade gothique de l'église Saint-Germain, à Amiens.

Il existe cependant des caractères qui permettent de suivre, au moins en France, l'évolution de l'architecture gothique et qui peuvent servir à faire reconnaître les monuments et à les classer chronologiquement. La première période de son développement, qui embrasse le XIIe et le XIIIe siècle, offre le style ogival primitif ou à lancette; la deuxième, comprenant le XIVe siècle, le style ogival secondaire ou rayonnant; la troisième, embrassant le XVe siècle et la première moitié du XVIe, le style ogival tertiaire ou flamboyant. Ces styles se distinguent par des différences dans la disposition générale de l'édifice, dans quelques dispositions partielles, et dans l'ornementation :

Le gothique primitif (style à lancette). 
Le plan général adopté pour la construction des grandes églises de style romano-byzantin reçoit seulement quelques changements dans la première période de l'architecture ogivale : le choeur et les nefs s'agrandissent; les collatéraux, formant déambulatoire, tournent autour du sanctuaire; les chapelles absidales, se multipliant atteignent quelquefois le nombre de quinze (à Tours), et si l'on trouve d'autres chapelles sur les flancs des nefs mineures (Reims, Chartres, Amiens), on peut affirmer qu'elles ont été ajoutées postérieurement au XIIIe siècle; dans quelques cathédrales (Paris, Bourges), les bas-côtés ont été doublés, disposition qui a été aussi pratiquée quelquefois plus tard; plusieurs églises, dépourvues d'absides et de chapelles absidales (Laon, Dol), se terminent par une muraille plane, percée d'une ou de plusieurs fenêtres ogivales; la chapelle de la Vierge, au fond de l'abside, reçoit parfois de très grandes dimensions (Coutances, Le Mans, Rouen).

Dans la construction, le petit appareil régulier, ou à losange, ou en arêtes de poisson, a disparu. Le moyen appareil, assez rare, ne peut fournir d'indications chronologiques. On se sert de pierres de grand appareil, communément plus longues que hautes, bien posées sur d'épaisses couches de mortier.

Les colonnes se groupent autour des piliers qui soutiennent les voûtes, de manière que les trois quarts de leur fût restent apparents; il en est (à Laon, à Canterbury) qui sont complètement détachées du pilier qu'elles accompagnent, et quelquefois garnies d'annelets. Les proportions en hauteur et en diamètre varient suivant les édifices, et aussi selon les intentions particulières de chaque architecte (Base, Chapiteau).

L'ogive règne à peu près exclusivement dans les arcades. Si l'on rencontre encore le plein cintre en quelques endroits, c'est par exception, et il apparaît entouré des moulures et des ornements du style ogival. Les entablements présentent des dents de scie, comme à la fin de la période romano-byzantine, et aussi des feuillages à crochets. 

Le gothique rayonnant. 
La limite qui sépare le style à lancette du style rayonnant est difficile à déterminer, et le passage s'est opéré de l'un à l'autre d'une manière peu sensible. Toutefois, dans un grand nombre d'édifices, le style rayonnant présente des caractères qui lui sont propres et qu'il a acquis par un développement particulier. Dès le commencement du XIVe siècle, le plan des grandes églises reçoit une modification importante, par l'addition de chapelles le long des collatéraux depuis les transepts jusqu'au portail occidental. Dans les piliers, le fût des colonnes s'amincit, et les feuilles des chapiteaux sont plus petites et plus nombreuses. Les fenêtres deviennent plus en plus grandes, avec des meneaux plus nombreux, et leur amortissement est formé de figures rayonnantes, de quatre-feuilles, de quintefeuilles et de rosaces; extérieurement elles sont souvent, comme les portes, surmontées de frontons aigus.

 Les roses des portails augmentent leur diamètre et la richesse de leurs compartiments. Les clochetons qui s'élèvent au-dessus des contreforts extérieurs s'allègent et s'évident, ou sont remplacés par des aiguilles garnies de crochets. Les clochers sont placés assez arbitrairement dans diverses parties de l'édifice. Les balustrades des galeries abandonnent les arcades trilobées pour les trèfles, les quatre-feuilles et les quintefeuilles encadrés. Quant à l'ornementation, si les sujets ont beaucoup d'analogie avec ceux de l'âge précédent, on remarque des différences notables dans l'exécution et dans les détails : les moulures toriques sont moins prononcées et les profils plus maigres; la statuaire a plus de finesse et de régularité; les supports en encorbellement commencent à s'orner de figures bizarres, quadrupèdes, reptiles, etc.
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Notre-Dame de Paris. Vous avez dit gothique? (© Photos : Serge Jodra, 2009).

Le gothique flamboyant.
Le style flamboyant a été ainsi appelé, parce que les meneaux qui forment des compartiments dans les grandes fenêtres se contournent en sens divers, de manière à former des espèces de flammes . C'est à ce style qu'on a aussi donné le nom de Gothique fleuri. Il n'y a pas de changements à noter dans le plan des édifices : le style flamboyant se caractérise par les modifications apportées aux piliers, aux fenêtres, et à l'ornementation. Les anciennes colonnes cylindriques, isolées ou cantonnées, passent à l'état de colonnettes, de tores, de baguettes, de minces nervures prismatiques : les piliers les plus massifs sont couverts de ces nervures sur toutes leurs faces; mais si le travail en est compliqué et délicat, l'oeil ne peut le percevoir à distance, et l'effet général de la perspective a perdu quelque chose de sa beauté. Souvent les nervures des piliers suivent le contour des arcades, ou s'élèvent le long des murailles jusqu'aux , qu'elles traversent pour se réunir à la clef. Les chapiteaux ont disparu, et font place à des bouquets de feuilles frisées, à une ou deux guirlandes de feuillages. 

Cela étant dit, on doit bien garder à l'esprit que hors de France cette classification n'est plus pertinente. Suivant le pays où le style ogival s'est implanté, ces principaux caractères se modifient par suite de son alliance avec le style d'architecture qui l'a précédé; ce qui fait que l'Italie, l'Angleterre, l'Espagne, l'Allemagne, la Belgique et la France ont bien un style ogival commun, qui a ses trois grandes périodes chez tous ces peuples, mais l'architecture de chaque pays a des particularités qui la différencient.